Dernière mise à jour: 10 avril 2014
L’environnement des affaires en Roumanie : analyse de l’un des plus importants cabinets d’avocats franco-roumain de Bucarest
Maître Dana GRUIA DUFAUT
Maître Dana Gruia Dufaut, spécialisée en droit des affaires franco-roumain, a immatriculé sa première société en Roumanie en 1991. Elle a depuis lors offert conseils et assistance juridique à quelques-uns des plus importants investisseurs français qui sont allés s'installer en Roumanie. Des années d'activité passionnante ont suivi le rythme d'un pays qui a connu un boom économique d'environ 6 % l'an de 2002 à 2008, avant de souffrir une sévère contraction. L'espoir est à nouveau là, le FMI tablant pour 2014 sur une croissance de 2,2%, bien supérieure à la moyenne dans la région. Il n'en reste pas moins que les défis sont là aussi. Nous l'avons interviewée.
Comment appréciez-vous la conjoncture économique actuelle de la Roumanie ?
Alors que la Roumanie est entrée dans la crise plus tard que les autres pays européens, sa conjoncture économique n'est ni meilleure, ni pire que celle de l'Europe et une morosité ambiante subsiste... Les trois dernières années n'ont pas été très sympathiques... Une politique d'austérité suivie de près par les bailleurs inter-nationaux (principalement le FMI, la Commission Européenne et la Banque Mondiale) a obligé un certain nombre d'entreprises à se retirer du marché ou restreindre leurs activi-tés, le modèle économique de base n'étant plus assez attractif. Si le traitement forcé des déséquilibres a donné certains résultats en termes de réduction de déficit budgétaire, ces programmes ont pesé sur la croissance économique. Pourtant, depuis le début de 2013, un certain optimis-me se manifeste à nouveau, traduit par de nouvelles implantations. La Roumanie garde un formidable potentiel de développement. Tout reste à faire, notamment dans des secteurs importants tels que les transports, l'infrastructure, l'énergie, l'agriculture ou le tourisme. Qui plus est, comme cela a été dit, ce pays est attractif par son héritage culturel francophone, encore très fort.
Me Dana Gruia Dufaut a fait ses études de droit en France où elle a obtenu en 1986 un DEA de droit des affaires à l'Université de Paris I et un DEA de droit immobilier à l'Université de Paris II. Inscrite au Barreau de Paris depuis 1987, elle a, en 2001, soutenu un Doctorat en droit à la Faculté de droit de l'Université de Bucarest sur le thème «Les réglementations de droit commercial des relations entre la France et la Roumanie dans le contexte européen». Avocat-conseil de l'Ambassade de France en Roumanie et membre de la Section Roumanie des Conseillers du Commerce Extérieur de la France jusqu'en 2010, elle a également beaucoup contribué à la réussite des entreprises françaises en Roumanie. En 2006, Me Dana Gruia Dufaut a reçu les insignes de Chevalier dans l'Ordre National du Mérite des mains de l'Ambassadeur de France en Roumanie.
La commande publique est-elle un moteur de la croissance roumaine ?
Le pays occupe la dernière place en Europe en termes d'utilisation des fonds européens mis à sa disposition. Environ 80% n'ont pas su être utilisés, leur utilisation dépendant étroitement de la capacité du Gouvernement roumain à mettre en place des projets et de lancer des appels d'offre. En termes juridiques, la question centrale reste celle des cahiers des charges à mettre en place, puis des réponses aux appels d'offres... Les entreprises européennes sont très demandeuses d'appels d'offres publics, voire de Partenariats Publics-Privés vers les quels le Gouvernement semble vouloir s'orienter ces derniers temps.
Comment appréciez-vous aujourd'hui la présence économique française en Roumanie ?
Elle est très forte. 38 des 40 entreprises françaises du CAC 40 y sont présentes, ce qui est assez rare, sans compter les PME qui s'intéressent à ce pays. En attendant de nouvelles vagues de croissance, les entreprises qui ont résisté à la crise s'emploient aujourd'hui à consolider et à sécuriser leurs investissements. Reste que les grands groupes ont une faculté d'anticipation que les petites sociétés n'ont pas forcément. Nous sommes là pour les aider et travaillons dans tous les cas de manière très étroite avec Ubifrance, de la même manière qu'avec la Mission Economique pour les grands groupes.
Comment appréciez-vous le milieu juridique roumain ?
La justice roumaine reste sous la loupe de Bruxelles depuis l'entrée de la Roumanie dans l'Union Européenne, aussi bien en termes de réglementation et d'adaptation aux normes européennes, que de lutte contre la corruption... La Roumanie s'est dotée depuis peu d'un nouveau Code civil et d'un nouveau Code de procédure civile. Tout est donc un peu chamboulé depuis dix-huit mois... Néanmoins, nous avocats, sommes là pour résoudre les problèmes d'interprétation du droit et sécuriser l'investissement de nos clients. Le droit roumain est proche du droit français et, en cas de litige, les magistrats sont très attentifs aux acquis de la jurisprudence française. Mais parler de litige c'est évoquer quelque chose qui a mal fonctionné ! Nous essayons de faire comprendre à nos clients qu'il est primordial de les assister le plus en amont possible pour leur permettre de se doter d'un bon contrat définissant le plus minutieusement possible les relations entre les parties. Au reste, nous serions très heureux de voir évoluer le droit des procédures collectives, une loi récente en la matière ayant été invalidée. La justice roumaine pourrait également fonctionner de manière plus transparente et plus rapide, les procédures pouvant encore s'avérer longues en cas de mauvaise foi.
La Roumanie est-elle toujours attractive au plan fiscal ?
Le débat sur les taxes bat son plein également en Roumanie ces jours-ci ; les autorités sont prises entre le besoin d'élargir l'enveloppe budgétaire et l'ambition de préserver l'attractivité fiscale de la Roumanie. Rappelons pour mémoire qu'en Roumanie aujourd'hui, l'impôt sur les sociétés est au taux unique de 16% comme l'impôt sur les revenus.... Seule la TVA atteint un taux relativement élevé de 24%. Autant dire que la Roumanie connaît encore une fiscalité douce...
L'inertie bureaucratique en Roumanie que vous avez régulièrement dénoncée a-t-elle reculé et la corruption y est-elle encore présente ?
Les divers Gouvernements se sont tous efforcés de réduire la bureaucratie, surtout par une plus grande transparence des procédures. Paradoxalement, ce phénomène est déterminé, au moins dans certains cas comme l'absorption des fonds européens, par diverses assurances législatives contre la corruption (contrôle croisé, supervision), qui retardent beaucoup les procédures normales. La corruption est, quant à elle, moins présente, grâce à l'activité des structures anticorruption, mais aussi, grâce à un certain changement de mentalités. Ce que je dis toujours à mes clients quant ils s'inquiètent, c'est que pour cela il faut être deux... celui qui donne et celui qui reçoit. Le cercle peut facilement être rompu !
Conseillez-vous toujours de privilégier une implantation en Greenfield ?
Les modalités d'implantation doivent être appréciées au cas par cas, selon le domaine d'activité. En effet, on aurait pu très mal imaginer Renault s'installer ici en Greenfield, alors même que les usines Dacia existaient... Il n'empêche que, par la suite, d'autres investissements de Renault en Roumanie, tel le centre d'essai, ont été fait seuls et en Greenfield. Par contre, il faut préciser, pour toutes les entreprises qui souhaitent s'installer ici que, d'un point de vue juridique, on peut immatriculer une société seul : la loi le permet. Cela est-il opportun ? Si on se donne les moyens humains, je le pense.
Quels autres conseils donneriez-vous aujourd'hui à un porteur de projet d'entreprise en Roumanie ?
Tout d'abord, il faut savoir qu'on peut réussir en Roumanie car, encore une fois, tout reste à faire, mais que certaines précautions doivent être prises. Il faut se méfier du «c'est comme chez nous» : en Roumanie, beaucoup de choses peuvent sembler identiques, y compris en matière de formalités (Société par Actions, Société à Responsabilité Limitée) alors qu'en réalité, le contenu est très différent. On peut par exemple constituer une Société à Responsabilité Limitée avec un Conseil d'Administration. Il faut s'entourer de conseillers compétents, qu'ils soient comptables, avocats ou banquiers. Il faut mettre en place les moyens humains, c'est à-dire savoir qu'on ne peut pas diriger une affaire en Roumanie en restant en France, à 2 500 km. En effet, s'impliquer directement est nécessaire, voire envoyer en Roumanie un ou des expatriés pour le démarrage de l'affaire. Comme je le disais, on peut s'implanter seul au sens capitalistique : créer une société dont le capital est intégralement détenu par l'entité française est possible et souhaitable même si, par la suite, on trouve des associés valables ; on peut alors ouvrir le capital et se marier.
Dana Gruia Dufaut est Avocat inscrite au Barreau de Paris depuis 1987. Au début des années 90, elle est allée en Roumanie en immatriculant la première société d'un client français dans ce pays en juillet 1991. Depuis, elle a créé en 2002, un cabinet local, implanté à Bucarest, animé par une équipe d'environ 35 personnes, dont seize avocats roumains. Le cabinet, qui a naturellement développé ses activités autour des besoins de ses clients, offre une expertise de premier plan dans le droit de l'entreprise au sens large du terme, dès la naissance de l'entreprise et tout au long de son développement. Il est particulièrement reconnu en droit des investissements étrangers en Roumanie mais aussi en droit commercial, droit des sociétés, droit des fusions & acquisitions, droit immobilier, droit des contrats, droit du travail, fiscalité et contentieux. Particulièrement rompu aux problématiques de croissance, d'embauches et de restructurations, le cabinet sait aussi très utilement conseiller les porteurs de projets. Dana Gruia Dufaut est également l'auteur d'un Guide très prisé sur la Roumanie «Roumanie : destination Réussite» qui peut être obtenu auprès du cabinet.
Le français a-t-il regagné sa place dans le monde des affaires ?
En Roumanie, à la différence d'autres pays de la région et européens, le français est resté une langue des affaires, même s'il est en grande perte de vitesse. Avec le nombre d'implantations françaises (plus de 3 000), il reste très parlé. L'Hexagone est le troisième partenaire commercial de la Roumanie. En plus, les filiè- res francophones des universités roumaines produisent chaque année des diplômés en droit, en économie, en science politique, des polytechniciens, qui peuvent facilement travailler dans une entreprise francophone. Tous les avocats roumains de notre cabinet en Roumanie parlent couramment le français mais aussi l'anglais.
Comment envisagez-vous l'activité de votre cabinet dans le proche avenir ?
Depuis 1991 que j'ai commencé à travailler en Roumanie, j'ai vu un pays se construire à partir des cendres du communisme. Le chemin à parcourir a été immense... Je n'ai pas de motifs de pessimisme car les prémisses du développement sont là... La Roumanie pourrait sortir de la récession, voire retrouver le plein emploi, tellement les besoins en investissement sont importants. Par certains cotés, la Roumanie actuelle se trouve au niveau de la France de l'après guerre, particulièrement dans certaines campagnes qui manquent encore d'eau potable, de tout-àl'égout et autres utilités modernes... Le savoir-faire français en la matière doit pouvoir profiter à la Roumanie. Donc, pour l'avenir, je ne peux qu'être optimiste et espérer que les vingt prochaines années seront aussi passionnantes que l'ont été pour moi et pour la Roumanie les vingt dernières !
Interview publié par la revue Echanges Internationaux no.99 / 2014