Dernière mise à jour: 19 janvier 2016
Entretien avec Me Dana Gruia Dufaut, Avocat fondateur du Cabinet GRUIA DUFAUT
Avocate inscrite aux Barreaux de Paris et de Bucarest, Dana Gruia Dufaut est l'un des avocats marquants de Bucarest, impliquée depuis 25 ans dans de nombreux projets juridiques des plus importants investisseurs français installés en Roumanie. Au début de cette nouvelle année, elle nous fait part de ses opinions sur les perspectives du monde des affaires et de sa profession en Roumanie.
Nous voilà au début d'une nouvelle année. Quelles perspectives pour votre profession en 2016?
Permettez-moi tout d'abord de commencer par vous souhaiter un Bon Anniversaire ... je sais que vous fêtez ce mois-ci une année d'existence dans cette nouvelle formule et je vous souhaite encore de longues années dans le monde francophone !
En ce qui concerne les perspectives pour nous, celles-ci doivent toujours être analysées dans le contexte d'avant .... 2015 a été une année un peu mitigée, avec des hauts et des bas, tant sur le plan législatif, que dans le domaine des affaires. Cela s'est évidemment reflété également dans notre domaine d'activité. Cependant, il faut être optimiste. En Roumanie, on peut toujours évoluer dans la profession d'avocat et le marché n'a pas encore atteint son point critique, ni en termes de réglementation - en dépit, il est vrai, de certains changements législatifs déjà intervenus et soumis encore à controverse, visant la profession elle-même - , ni en termes de croissance.
Aujourd'hui, le marché roumain est entré dans une nouvelle étape de développement qui impose, d'une part, la nécessité d'une plus forte cohésion entre les avocats et, d'autre part, l'existence d'une structure étique plus sérieuse dans la profession. Du point de vue des affaires, les résultats quantitatifs suivent une courbe ascendante depuis 2014, comme indiqué par les analyses du marché. La perception des entreprises vis-à-vis du rôle et de l'importance des avocats des affaires s'est également améliorée et cela se reflète aussi dans le chiffre d'affaires.
25 ans d'expérience en Roumanie. Quelles perspectives pour le Cabinet GRUIA DUFAUT?
En effet, je fête cette année un quart de siècle (!) d'expérience en Roumanie et j'ai de bonnes raisons pour continuer mes projets dans ce domaine. Le français est au cœur de notre business, car 80% des clients du Cabinet sont des entreprises françaises. Cependant, sur le marché local l'identité française ne compte que dans une certaine mesure et notre mission d'accompagnement des investisseurs n'est pas simple. La concurrence sur le marché roumain est de plus en plus forte, mais le Cabinet a trouvé le discours approprié et clair, étant reconnu comme spécialiste de ce marché... Son signe distinctif est sa forte spécialisation - une pratique des activités de conseil juridique, notamment dans le domaine des investissements étrangers et fusions - acquisitions. Tout en étant un cabinet de niche, nous offrons une assistance complète à nos clients. Pour l'avenir, il y a deux directions dans lesquelles nous allons orienter notre activité. Evidemment, nous souhaitons augmenter le nombre de nos clients. Un client content nous recommande en général auprès d'un ou plusieurs autres clients potentiels, et ainsi de suite ... La qualité de nos services de conseils juridiques est bien reconnue et plus de sociétés peuvent en bénéficier, surtout en matière d'investissements, de fusions et d'acquisitions, de marchés publics ou de droit immobilier. La seconde direction est liée à l'approfondissement et l'élargissement des compétences. Le rôle de l'avocat d'affaires a beaucoup changé au long des années. Il est un partenaire du client, un stratège, plus seulement un litigant qui le représente devant le tribunal. Il se voit, donc, voué à une approche multidisciplinaire et son ouverture vers les affaires est essentielle. Nous misons ainsi sur la consolidation du Département de conseil, surtout en ce qui concerne les aspects de nature fiscale. Les réformes récentes touchant à la fiscalité font que les investisseurs doivent pouvoir disposer d'un état des lieux clair, précis et centré sur leurs préoccupations essentielles.
Avez-vous jamais pensé renoncer à la Roumanie et rentrer en France ?
Oui, cela m'est arrivé d'y penser.... d'avoir des moments de découragement! Car notre Cabinet a travaillé et travaille uniquement pour le secteur privé. J'ai bâti ce que nous sommes aujourd'hui, pierre par pierre. Et même après 25 ans de Roumanie je ne réussis pas de m'habituer et comprendre la bureaucratie administrative de ce pays!!! En réalité, je ne veux surtout pas m'habituer... ni à la bureaucratie, ni à la corruption, disons-le très clairement. Alors, parfois, cela a été très dur d'avancer... Des dossiers rejetés 2 à 3 fois, alors qu'il ne manquait rien dedans! Mais j'ai tenu bon, peut-être parce que lorsqu'on m'oppose une difficulté, cela me stimule encore plus de la dépasser. Si on veut me faire plier, c'est là que je serai encore plus acharnée! Par ma façon d'être, j'ai toujours vu le verre à moitié plein et non pas celui à moitié vide. Je sais qu'un jour on arrivera aussi en Roumanie à avoir un Pays avec une administration digne. Cela prend du temps, mais je suis confiante! Dans cette perspective, le nouveau gouvernement de Mr. Dacian Ciolos est celui des grands espoirs. Les ministres du Gouvernement Ciolos et lui-même bénéficient d'une bonne image publique - chose rare pour une classe politique qui souffre d'une corruption endémique - créant ainsi les prémisses d'une prévisible implémentation dans les institutions publiques d'un mode de travail européen, qui suppose des procédures claires et des mécanismes de coordination et de décision efficaces.
Dans quels domaines faut-il investir aujourd'hui en Roumanie ?
Je vous répète là ce que je dis aux investisseurs chaque fois que j'en ai l'occasion: La Roumanie reste, 26 ans après la chute du mur de Berlin, une terre vierge dans laquelle beaucoup de choses sont à faire, donc du potentiel pour les investisseurs... Ce pays grand comme la moitié de la France n'a qu'un peu plus de 600 km d'autoroutes, pas encore de voies ferrées rapides, pas encore du tout à l'égout ou de l'adduction d'eau dans tous les villages, etc. Ce pays a besoin qu'on vienne y investir dans tous les domaines: santé, industrie, agriculture, tourisme, infrastructure... Le lancement de grands projets en 2016 est prévisible, surtout aussi à partir de fonds européens existants, d'un assouplissement fiscal et du fait qu'on a à faire à un gouvernement d'experts bruxellois, réformateur, qui bénéficie aussi du soutien du président Iohannis qui a promis une Roumanie plus réformée et moins corrompue.
Les investisseurs français sont-ils toujours intéressés par la Roumanie? L'image du pays n'est pas toujours bonne dans la presse française...
La France occupe une place de choix parmi les investisseurs étrangers en Roumanie, de très nombreuses grandes entreprises françaises étant déjà présentes. Mais comme toute économie, l'économie roumaine a besoin de ce savoir-faire qui est celui des grands groupes français (ils sont déjà là pour la plupart d'entre eux) mais également des PMEs françaises qui y voient de plus en plus un potentiel de croissance. Au fur et à mesure que leur situation économique dans le pays d'origine leur permet, ces PMEs s'adossent sur l'expérience des grands groupes implantés ici et mettent le pays sur la carte de leurs démarches d'internationalisation.
Il est vrai que la Roumanie n'a pas toujours bénéficié d'une bonne image en France... mais les sources d'informations des investisseurs sont plus consistantes par rapport aux années précédentes. Une fois arrivés sur place, ceux-ci découvrent un pays qui ne manque pas d'attractivité. Ils découvrent aussi quelles surprises peut cacher la Roumanie, à commencer par les opportunités d'affaires jusqu'aux « micii » roumains...
De cette perspective, je dirais aussi que votre mission en tant que journal de langue française est très importante et je tiens à vous féliciter d'avoir investi dans ce projet d'envergure, dans un contexte média qui reste compliqué partout dans le monde. Vous faites entendre la voix de la communauté francophone de Roumanie, mais vous facilitez aussi, d'une façon indépendante, une meilleure connaissance de la situation économique, politique et culturelle du pays. Pour conclure, surtout restez libre et indépendants, car notre avenir dépend aussi de votre liberté. Rappelez-vous ce que disait Thomas Jefferson: «Notre liberté dépend de la liberté de la presse et elle ne saurait être limitée sans être perdue ».