Dernière mise à jour: 14 décembre 2022
Le choc économique global provoqué par la pandémie de Covid-19 et dont les effets sont omniprésents dans l’UE, ainsi que la guerre en Ukraine, ont été à l’origine de l’adoption de mesures protectionnistes partout en Europe et d’un changement de paradigme en matière de politique commerciale. Dans le cadre de la réponse globale aux menaces croissances pesant sur les secteurs stratégiques, de la santé à l’énergie en passant par la production industrielle, les État européens se sont dotés de nouveaux instruments de contrôle des investissements directs étrangers (« IDE »).
En Roumanie, l’Ordonnance d’Urgence du Gouvernement n° 46/2022 (« OUG 46/2022 ») harmonise la législation nationale et la met en accord avec le droit européen dans le domaine du filtrage des investissements directs étrangers, porté en particulier par le Règlement (UE) 2019/452 du Parlement européen et du Conseil, afin d’éviter le contournement des mécanismes de contrôle déjà en place et de prévenir les risques liés à la sécurité nationale et à l’ordre public.
La nouvelle ordonnance édicte une série de conditions à remplir par les investissements issus de pays tiers, lorsque ces investissements concernent des secteurs considérés comme stratégiques et qu’ils sont susceptibles de porter atteinte à des projets ou des programmes présentant un intérêt pour l'Union.
Bien qu'un système d'évaluation de ces investissements soit déjà en place depuis 2012, la nouvelle réglementation renforce l’exigence de la procédure et vise à éviter, dans le contexte d’interdépendance du marché européen, que la crise économique actuelle n'entraîne une vente massive d'entreprises et d'acteurs industriels, y compris de PME.
Quels sont les investissements directs étrangers visés par la nouvelle réglementation ?
Les investissements réalisés en Roumanie pour un montant supérieur à 2 millions d’euros (montant calculé au taux de change de la Banque nationale de Roumanie en vigueur le dernier jour de l’exercice financier précédant l'année de réalisation de l'opération) par un investisseur étranger (personne physique n’étant pas ressortissante d’un État membre de l’UE, personne morale dont le siège social ne se situe pas dans un État membre de l’UE ou personne morale qui, bien qu'ayant son siège social dans l'UE, est contrôlée par des personnes ou des entités situées en dehors de l'UE) dans un des secteurs stratégiques identifiés par la loi doivent être autorisés au préalable par une commission spéciale créée à cet effet, la Commission pour l’examen des IDE (« CEIDE »).
A titre exceptionnel, peuvent également être soumis à l’analyse de la CEIDE les investissements inférieurs à 2 millions d’euros, dans le cas où ils sont susceptibles d'avoir un impact sur la sécurité nationale ou l'ordre public ou s'il existe des risques liés à ceux-ci.
Le nouveau régime de contrôle des IDE est applicable tant aux investissements greenfield qu’aux investissements existants, de quelque nature qu’ils soient (ex. fourniture de fonds), réalisés par un investisseur non européen et lui permettant de prendre le contrôle d'une entité/branche d’activité d’une entité.
Ce même contrôle s’applique également en cas de modification de la structure de propriété d'une personne morale investisseur étranger, si cette modification est susceptible d'entraîner le contrôle, direct ou indirect, de l’entité, y compris par le développement d'une entité existante, soit par l'augmentation de sa capacité de production, soit par la diversification de sa production avec l’ajout de nouveaux produits ou services.
Il convient de mentionner que les investissements de portefeuille, à savoir (i) les acquisitions d'obligations ou d'actions qui (ii) n’ont pas de lien direct avec la prise de contrôle de l’entreprise sont exclus du champ d’application de l’OUG 46/2022.
De même, les investissements purement intracommunautaires ne sont pas soumis à la procédure d’autorisation préalable.
Les secteurs stratégiques
Les secteurs dans lesquels les investissements extracommunautaires sont soumis à un contrôle ont été listés par la Décision n° 73/2012 du Conseil Suprême de Défense Nationale (« CSDN »), de sorte que l'examen et l’accord préalable de la CEIDE sont requis pour les investissements dans les domaines suivants :
• la sécurité des citoyens et des collectivités • la sécurité des frontières • la sécurité énergétique • la sécurité des transports • la sécurité des systèmes d’approvisionnement en ressources vitales • la sécurité des infrastructures critiques • la sécurité des systèmes d’information et de communication • la sécurité des activités financières, fiscales, bancaires et assurantielles • la sécurité de la production et de la circulation des armes, munitions, explosifs et substances toxiques • la sécurité industrielle • la protection contre les catastrophes • la protection de l’agriculture et de l’environnement • la protection contre les opérations de privatisation des entreprises publiques ou de leur gestion.
Des règles particulières sont également prévues en matière de transparence pour les investissements réalisés dans les entreprises de médias, à savoir les entreprises qui (i) détiennent des licences audiovisuelles ou (ii) ont fait paraître des publications dont le tirage moyen était de 5 000 exemplaires par jour au cours de l'année civile précédente ou (iii) possèdent un portail web dont le nombre de consultations est de 10 000 par mois au minimum.
Un tel investissement devra faire l'objet d'une consultation publique d'une durée minimale de 30 jours calendaires.
La commission pour l'examen des investissements directs étrangers. Procédure d'examen des IDE
Avant l’entrée en vigueur de l’OUG 46/2022, si un investissement étranger concernait l’un des domaines mentionnés ci-dessus, il était nécessaire d’obtenir l’accord du CSDN, soit par notification directe, soit par notification d’une concentration économique au Conseil de la Concurrence, qui, à son tour, informait le CSDN.
La nouvelle réglementation établit le cadre de fonctionnement de la CEIDE – Commission pour l’Examen des Investissements Directs Étrangers – qui fonctionne sans personnalité juridique, sous l'égide du Gouvernement, et dont le secrétariat est assuré par le Conseil de la Concurrence.
Après analyse du dossier déposé par un investisseur extracommunautaire, la CEIDE émet un avis qui, selon le cas, (i) autorise l’IDE, (ii) autorise l’IDE sous conditions (sous réserve de certains engagements ou mesures à prendre) ou (iii) rejette la demande.
La loi prévoit que la demande d’autorisation d’un IDE doit comprendre a minima les informations prévues dans le Règlement européen 2019/452, à savoir : a) la structure de propriété de l'investisseur étranger et de l'entreprise dans laquelle l'investissement direct étranger est prévu ou a été réalisé, y compris des informations sur l'investisseur ultime et la participation au capital, b) la valeur approximative de l'investissement direct étranger, c) les produits, les services et les opérations commerciales de l'investisseur étranger et de l'entreprise dans laquelle l'investissement direct étranger est prévu ou a été réalisé, d) les États membres dans lesquels l'investisseur étranger et l'entreprise dans laquelle l'investissement direct étranger est prévu ou a été réalisé mènent des activités commerciales pertinentes, e) le financement de l'investissement et sa source, sur la base des meilleures informations dont dispose l'État membre et f) la date à laquelle l'investissement direct étranger est prévu ou a été réalisé.
L’avis de la CEIDE est émis au plus tard 60 jours à compter de la date à laquelle la demande d’autorisation a été déclarée complète.
L’avis autorisant l’opération sous conditions et l’avis rejetant la demande sont transmis au gouvernement, qui, à son tour, émet une décision d'approbation sous conditions ou, le cas échéant, une décision de rejet de la demande.
Il est important de souligner que si la CEIDE estime que la consultation du CSDN est nécessaire, elle peut déclencher une enquête détaillée sur la demande d'autorisation.
Cette même procédure peut également être déclenchée, dans certaines situations, directement à la demande du CSDN.
Les sanctions prévues par la nouvelle réglementation
L’OUG no. 46/2022 interdit la réalisation d’un IDE avant que celui-ci ait été autorisé, sous peine pour l’investisseur de se voir appliquer d’importantes sanctions, similaires à celles prévues en matière de concurrence. Est ainsi considéré comme une contravention et passible d'une amende qui peut s’élever jusqu’à 10% du chiffre d'affaires mondial de l'exercice précédant l'année d'application de la sanction le fait de :
- Fournir sciemment, dans une demande d'autorisation d’IDE, des informations incorrectes, incomplètes ou trompeuses ;
- Réaliser un IDE sans y avoir été autorisé selon les modalités prévues par l’OUG 46/2022, de manière intentionnelle ou par négligence ;
- Réaliser un IDE sans se conformer aux engagements prévus par la décision d’autorisation sous conditions visée à l’article 9 alinéa (2) lettre b), de manière intentionnelle ou par négligence.
Si au cours de l'exercice précédant la sanction l'entreprise n'a pas enregistré de chiffre d'affaires, ou si le chiffre d'affaires ne peut être déterminé, l’amende sera établie sur la base du chiffre d'affaires de l'exercice précédant l'année de référence.
Si ce chiffre n'est pas non plus disponible, la pénalité est fixée sur la base du dernier chiffre d'affaires connu de l'entreprise.
Dans le cas d’une entreprise nouvellement créée, à la suite de l’IDE, qui n'a donc pas encore enregistré de chiffre d'affaires, l’amende sera comprise entre 10 000 000 lei et 50 000 000 lei. Les éventuelles sanctions seront appliquées par le Conseil de la Concurrence.
Conclusion
La réglementation prévue par l’OUG 46/2022 aligne la législation nationale au cadre européen relatif au contrôle des investissements directs étrangers, entré en vigueur en 2020 et qui vise à jouer un rôle essentiel dans la protection des intérêts stratégiques de l'Europe.
Si ce cadre laisse la porte ouverte aux investisseurs de pays tiers, les conditions d'accès ont été durcies.
Dans le même temps, le nouveau mécanisme conduit à une coopération plus étroite entre les États membres, grâce à l'échange d'informations entre eux, étant donné que l'UE est la principale destination des IDE dans le monde.
En Roumanie, pour que ce nouveau dispositif de contrôle des IDE devienne pleinement opérationnel, nous attendons les Normes d'application de l’OUG 46/2022, qui devraient apporter une série de clarifications nécessaires quant au contenu de l'ordonnance. Aussi, il est encore difficile d’évaluer l'impact de cette réglementation sur les IDE venant d’investisseurs non européens ainsi que leur part dans le volume total d'IDE de la Roumanie.